Quand on parle de politiques publiques, beaucoup imaginent que les décisions gouvernementales sont prises de manière neutre, logique, avec pour seul objectif le bien commun.
Mais la réalité est un peu plus complexe… voire un peu plus humaine. C’est exactement ce que met en lumière la théorie des choix publics, une approche économique qui nous aide à comprendre pourquoi, parfois, les politiques publiques n’atteignent pas leurs objectifs.
Commençons par une idée simple : ce n’est pas parce qu’un acteur est “public” qu’il est désintéressé ou plus rationnel qu’un acteur privé. La théorie des choix publics applique à la politique les mêmes règles qu’on applique au marché : les individus – qu’ils soient politiciens, électeurs ou fonctionnaires – agissent en fonction de leur propre intérêt.
C’est un peu comme dans une entreprise. On ne suppose pas que le patron agit toujours pour le bien des consommateurs, on sait qu’il cherche le profit. Dans le secteur public, la logique est similaire : un élu veut être réélu, un fonctionnaire veut préserver son poste ou son service, un électeur veut maximiser les bénéfices qu’il reçoit du gouvernement… sans forcément chercher à comprendre toutes les politiques publiques. Ce comportement a un nom : l’intérêt personnel rationnel.
Pourquoi certaines politiques publiques échouent
Avec cette grille de lecture, plusieurs problèmes bien connus deviennent plus clairs :
- L’absence d’incitations à bien gérer : Contrairement aux entreprises qui peuvent perdre des clients (et de l’argent) si elles font mal leur travail, les institutions publiques ne ressentent pas toujours de pression directe en cas d’échec.
- Les électeurs peu informés : Pour beaucoup de citoyens, le coût de s’informer est plus élevé que le bénéfice potentiel d’un bon vote. Résultat : peu d’évaluation critique des politiques proposées, peu de suivi, peu de sanction en cas d’échec. C’est ce qu’on appelle l’ignorance rationnelle.
- Le pouvoir de certains groupes organisés : Quand une nouvelle loi favorise un petit groupe bien organisé (par exemple, une niche fiscale), ce groupe va lutter activement pour qu’elle passe, alors que la majorité des citoyens, moins informés et moins motivés, ne vont pas s’y opposer. Le résultat ? Des décisions déséquilibrées, souvent injustes mais politiquement “rentables”.
Des jeux politiques bien connus : électeur médian et découpage électoral
Deux concepts issus de cette théorie permettent d’expliquer certaines stratégies politiques :
- L’électeur médian : Les candidats adaptent souvent leurs discours pour séduire l’électeur “moyen”, celui qui n’est ni trop à gauche, ni trop à droite, ni trop engagé. Cela peut conduire à des programmes flous, peu ambitieux, mais “sécurisants”.
- Le découpage électoral partisan (ou gerrymandering) : Dans certains systèmes, les partis peuvent redessiner les cartes électorales pour augmenter leurs chances de gagner, en regroupant ou dispersant les électeurs de façon stratégique. C’est un moyen de garder le pouvoir, pas nécessairement de mieux gouverner.
Est-ce à dire que le gouvernement est voué à l’échec ?
Pas du tout. Le but de cette théorie n’est pas de dire que le secteur public est “mauvais” ou que le privé est “meilleur”. Elle nous rappelle simplement une chose : les erreurs sont humaines, qu’elles soient commises par une entreprise ou un État. La vraie question est : qui a le plus de motivation pour corriger ses erreurs ?
Dans le privé, une mauvaise décision se paye cash : perte de clients, chute de revenus. Dans le public, les sanctions sont moins immédiates. D’où l’importance de mettre en place des mécanismes de contrôle, de transparence et d’évaluation. Et d’avoir des citoyens curieux, informés, engagés.
Ce qu’il faut retenir
- Les acteurs publics réagissent eux aussi à leurs intérêts personnels.
- Les politiques publiques peuvent échouer faute de bonnes incitations ou de contrôle citoyen.
- Comprendre les logiques politiques permet de mieux décrypter les décisions gouvernementales.
- Il ne s’agit pas d’opposer public et privé, mais de questionner ce qui pousse chacun à mieux faire.
La démocratie fonctionne mieux quand les citoyens comprennent les règles du jeu. La théorie des choix publics, en dévoilant les coulisses de la politique, ne pousse pas au cynisme, mais à la vigilance. À Eco Tous, on pense que mieux comprendre, c’est mieux agir.
Aziz Essouaied – Élève du Cycle Supérieur à l’ENA