Autour de Tunis et des grandes villes, s’étend une ceinture d’habitations construites en dehors de tout cadre légal. Loin des clichés, ces quartiers informels offrent aux familles modestes un toit, un ancrage social et une ingéniosité collective qui pallient les insuffisances des politiques publiques.
Des “favelas” brésiliennes aux “slums” indiens, l’habitat informel apparaît là où le logement officiel est inaccessible. Il touche surtout des familles à faibles revenus, exclues des circuits immobiliers réglementés, qui choisissent ; ou se résignent ; à construire et vivre hors des cadres légaux.
En Tunisie, deux grandes phases se sont succédé : les “gourbivilles “des années 1940, zones insalubres de cabanes précaires où s’installaient les migrants ruraux venus travailler en ville ; puis, à partir des années 1970, l’habitat spontané en dur, fait de maisons construites sur des terres agricoles ou des terrains non constructibles, vendus illégalement sans titres de propriété.
Ces zones, longtemps stigmatisées, sont devenues une composante visible du paysage urbain. Elles répondent à une demande pressante : se loger à moindre coût et accéder à la propriété. C’est ce que révèle l’étude du quartier “Ettahaouel”, né dans les années 1990 au nord de Tunis, qui met en lumière les ressorts, les atouts et les limites de ce type d’habitat.
Un refuge né des failles du système
“Ettahaouel” s’est développé sur fond d’offre insuffisante et inadaptée de logements sociaux. Les programmes publics ciblaient des ménages solvables ; le privé, orienté vers la rentabilité, se concentrait sur les classes moyennes et aisées. Les familles modestes restaient sans solution dans les circuits officiels.
Les lotisseurs clandestins ont exploité ce vide : ils morcelaient d’anciennes terres agricoles proches de zones résidentielles mieux équipées, puis revendaient de petites parcelles sans titre, parfois avec paiement différé, rendant l’achat possible même pour des ménages aux revenus irréguliers.

À Ettahaouel, 85% des habitants sont propriétaires, malgré des revenus entre 450 et 900 dinars par mois. Les parcelles (118 m² en moyenne) étaient abordables : environ 30 dinars/m², au début des années 1990, puis 100 dinars/m², en 2008.
Construire avec peu, mais construire quand même
L’auto-construction domine, avec trois modes :
- Familial : travaux réalisés par le ménage et ses proches.
- Assisté (70 % des cas) : les habitants assurent les tâches simples et font appel à des ouvriers spécialisés.
- Petites entreprises informelles : mobilisées par les ménages disposant de moyens plus importants.
Les constructions progressent par étapes, souvent sur dix ans, au rythme des économies, parfois complétées par la vente d’un bien au village d’origine. Les maisons, modestes mais durables, sont évolutives : 80% comptent au moins quatre pièces, et beaucoup sont agrandies, surélevées ou partiellement transformées pour accueillir un commerce au rez-de-chaussée, générant un revenu complémentaire.
Un quartier qui s’organise et s’entraide
Avec le temps, “Ettahaouel” a développé ses propres structures économiques et sociales. On y compte 44 commerces (épiceries, ateliers, boutiques de matériaux) souvent intégrés aux habitations. Les habitants financent aussi mosquées et petits équipements.

La solidarité imprègne la vie quotidienne : 80% des habitants disent entretenir de bonnes relations avec leurs voisins, échanges d’outils, garde d’enfants, partage de nourriture. Les rues servent de lieux de rencontre, de jeux pour les enfants, mais aussi de scène pour les mariages, enterrements ou ventes ambulantes.
Au début des années 2000, des comités de quartier se sont créés pour relayer les besoins auprès des autorités et obtenir la régularisation. Ces initiatives ont renforcé la cohésion et le sentiment d’appartenance.
Des défis persistants
Ce système, aussi ingénieux soit-il, comporte des faiblesses :
- Absence de titres de propriété et de permis de construire.
- Non-respect des normes de sécurité et d’urbanisme (rues étroites, encorbellements…).
- Réseaux d’égouts incomplets, voiries dégradées, manque d’équipements publics.
- Extension rapide sur terres agricoles, avec risques environnementaux.
Malgré cela, plus de 90% des habitants ne souhaitent pas quitter le quartier, attachés à leur statut de propriétaires et aux liens sociaux construits sur place.
Conclusion
L’habitat informel n’est pas uniquement un problème urbain : c’est aussi une réponse pragmatique à la crise du logement. Il offre stabilité, accès à la propriété et intégration sociale à ceux qui en sont exclus dans les circuits officiels.

Reconnaître ce mode de production, c’est admettre le savoir-faire et la résilience de ses habitants. Des politiques qui associent leur autonomie à un encadrement technique et réglementaire (comme un programme d’auto-construction assistée) pourraient transformer ces dynamiques en leviers durables d’inclusion et de développement.
Noura Khiari – Architecte et Maître-Assistante, Université de Carthage
Consulter l’étude
“L’habitat informel en Tunisie : un levier d’intégration sociale et de résilience face à la crise du logement”, publiée dans “Ziglôbitha”, Revue des Arts, Linguistique, Littérature & Civilisations Université Peleforo Gon Coulibaly-Korhogo"