Après des décennies de collaboration avec le Fonds monétaire international (FMI), la Tunisie a décidé de tourner la page. Cette séparation marque la fin d’une relation étroite, qui avait pourtant apporté au pays un appui financier important : 4,4 milliards de dollars, dont 87 % entre 2013 et 2020.
Mais malgré cette aide, l’économie tunisienne ne s’est pas redressée. Pourquoi ? Parce que les gouvernements successifs ont utilisé les prêts du FMI non pas pour créer de la richesse, mais pour combler les déficits et acheter la paix sociale, sans plan de relance durable.
Une longue histoire de soutien… peu fructueuse
Depuis des décennies, le Fonds monétaire international (FMI) a accompagné la Tunisie à plusieurs étapes difficiles de son histoire économique. Mais malgré cette relation étroite, les résultats concrets sur la durée restent décevants.
L’institution financière internationale a été, en effet, présente, à plusieurs moments clés :
- En 1970, après l’échec de l’expérience économique coopérative des années 1960.
- En 1984, au moment de la révolte du pain, en soutenant un programme social.
- En 1990, en proposant un programme d’ajustement structurel pour moderniser l’économie et rééquilibrer les finances publiques.
- Après la révolution de 2011, pour faire face à l’explosion des subventions, à l’augmentation des salaires dans la fonction publique et aux revendications sociales croissantes.
Mais cette succession d’aides n’a pas permis de sortir durablement de la crise. Depuis 2011, les gouvernements ont surtout cherché à négocier avec le FMI plutôt qu’à trouver des solutions adaptées au contexte tunisien. Résultat : un modèle économique fondé sur l’endettement extérieur, sans stratégie de développement économique.
Aujourd’hui, les recettes de l’État (impôts, taxes) ne suffisent plus à payer les salaires des fonctionnaires ou à rembourser la dette. Et les investissements publics, nécessaires à la croissance, sont en chute.
Trois conditions qui ont tout changé
En 2022, la Tunisie a refusé un nouveau prêt de 1,9 milliard de dollars proposé par le FMI. En cause : trois conditions jugées inacceptables par les autorités.
- Restructuration des entreprises publiques : le FMI recommandait de réformer ou privatiser certaines entreprises publiques. Mais l’État y voit des fournisseurs de services essentiels, notamment pour les plus pauvres. La privatisation inquiète aussi les syndicats, surtout l’UGTT (Union générale tunisienne du travail), qui la considère comme une ligne rouge. Toutefois, ce syndicat a récemment adouci sa position, en acceptant une approche au cas par cas.
- Réduction de la masse salariale dans la fonction publique : l’État a tenté de réduire les effectifs via des départs anticipés à la retraite, sans réel succès. Pire, sous la pression des diplômés chômeurs, il a recruté environ 5 000 jeunes diplômés récemment.
- Suppression progressive des subventions : le FMI souhaitait éliminer progressivement les aides de l’État sur certains produits de base (pain, semoule, énergie). Mais le souvenir des émeutes meurtrières de janvier 1984, causées par la suppression des subventions sur le pain, reste très présent.
Une indépendance risquée ?
Pour de nombreux économistes, les programmes du FMI manquent de flexibilité. Ils appliquent les mêmes recettes dans différents pays, sans toujours tenir compte des réalités économiques, sociales et géopolitiques locales. Cela peut, à long terme, aggraver la pauvreté et alourdir la dette.
En refusant le prêt, la Tunisie limite désormais son accès aux marchés financiers internationaux. Plusieurs pays conditionnent en effet leur aide à un accord préalable avec le FMI. Ce choix de souveraineté économique comporte donc des risques.
La société civile soutient cette décision si elle permet de sortir du cercle de la dette et de la dépendance aux bailleurs de fonds. Mais elle appelle les autorités à ne pas s’enfermer dans l’isolement : l’indépendance doit s’accompagner d’une vraie stratégie économique, et d’une coopération équilibrée avec l’extérieur.
Ghazi Boulila – Expert Economique