Chaque année, la Tunisie forme des milliers d’ingénieurs. Pourtant, beaucoup prennent le chemin de l’exil. Manque de perspectives, salaires peu attractifs, absence de reconnaissance : autant de facteurs qui poussent ces talents à partir, au risque de fragiliser l’avenir technologique et économique du pays. Une étude de l’Institut Tunisien des Études Stratégiques (ITES) met en lumière les causes de cette fuite des compétences et propose des pistes pour y remédier.
Chaque année, entre 6 000 et 6 500 ingénieurs tunisiens quittent le pays. En cause : de meilleures conditions de vie, des salaires plus élevés et des environnements de travail valorisants, bien loin de leur pays d’origine. Ce phénomène, longtemps discret, inquiète désormais chercheurs et décideurs.
L’Institut Tunisien des Études Stratégiques (ITES) a consacré à ce sujet une étude approfondie publiée en 2024 : “La fuite des cerveaux parmi les ingénieurs en Tunisie : causes, conséquences et propositions de politiques économiques”. Ce travail documente les origines de cette hémorragie, en mesure l’impact et formule des recommandations concrètes.
Un exode préoccupant
Depuis plus d’une décennie, la Tunisie assiste à une fuite continue de ses compétences, avec les ingénieurs en première ligne. En 2022, une enquête de l’IACE révélait que près de 80 % des élèves ingénieurs envisageaient de quitter le pays. Si les profils expérimentés partent pour accélérer leur carrière, de nombreux jeunes sont recrutés dès la sortie de l’université.
Les secteurs les plus touchés sont l’ingénierie informatique, industrielle, énergétique et le génie civil. Les pays d’accueil ? La France, l’Allemagne, le Canada ou encore les pays du Golfe, qui offrent des salaires 5 à 7 fois supérieurs, dans un environnement plus stable.
Des causes bien identifiées
L’étude de l’ITES met en évidence plusieurs facteurs explicatifs :
- Des salaires largement inférieurs aux standards internationaux ;
- Un environnement professionnel souvent rigide et peu stimulant, offrant peu d’autonomie et de perspectives d’évolution ;
- Un sentiment de déclassement et un manque de reconnaissance ;
- Un climat économique et politique instable ;
- Des politiques étrangères proactives dans le recrutement des talents tunisiens ;
- Une inadéquation entre la formation reçue et les besoins du marché local.
À cela s’ajoute un désir fort d’offrir un avenir meilleur à leurs familles, en matière de logement, d’éducation ou de services publics.
Une perte stratégique pour la Tunisie
Le départ de ces profils qualifiés ne constitue pas seulement une perte individuelle. Il représente un véritable manque à gagner pour l’économie nationale. Former un ingénieur coûte en moyenne 100 000 dinars à l’État tunisien. Multipliez ce chiffre par des milliers de départs annuels, et l’addition devient colossale. D’autant plus que la fuite des ingénieurs met en péril plusieurs ambitions majeures:
- La transition numérique,
- La modernisation industrielle,
- La souveraineté technologique,
- La création d’emplois qualifiés.
Moins de compétences disponibles, c’est aussi moins de recherche, d’innovation et d’investissements étrangers. La Tunisie risque ainsi de s’enfermer dans une économie à faible valeur ajoutée.
Des recommandations pour inverser la tendance
Face à cette situation, l’ITES propose une série de mesures concrètes, directement issues de son analyse. Il ne s’agit pas de promesses générales, mais d’orientations précises pour améliorer l’attractivité du pays.
- Revaloriser les carrières d’ingénieurs, en améliorant salaires, conditions de travail et perspectives d’évolution dans les secteurs public et privé.
- Adapter les formations aux réalités du marché, en intégrant davantage de compétences numériques, entrepreneuriales, managériales et transversales.
- Renforcer la recherche et l’innovation, par un financement accru, une gouvernance modernisée et de meilleures synergies entre université et entreprise.
- Dynamiser l’écosystème entrepreneurial, en allégeant les procédures administratives et en facilitant l’accès au capital pour les start-ups à fort contenu technologique.
- Mettre en place des politiques actives de retour des compétences, avec :
- Des incitations fiscales ciblées,
- Le développement du télétravail,
- Des programmes de collaboration entre la diaspora et les institutions nationales.
- Stabiliser le cadre politique et réglementaire, pour restaurer la confiance des jeunes dans leur pays.
- Créer un observatoire national des compétences, chargé de suivre les flux migratoires et d’anticiper les pénuries de profils stratégiques.
Lire l’étude de l'Institut Tunisien des Etudes Stratégiques
“La fuite des cerveaux parmi les ingénieurs en Tunisie : causes, conséquences et propositions de politiques économiques”