Des coopératives pour entreprendre autrement, ensemble

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Chômage élevé, précarité des jeunes, économie informelle omniprésente : et si une solution locale, inclusive et innovante existait déjà sur le terrain ? Les coopératives territoriales multi-activités, inspirées d’un modèle éprouvé à l’étranger, pourraient bien être l’une des clés pour faire bouger les lignes.

La Tunisie connaît une triple urgence économique : un chômage persistant, surtout chez les jeunes (40 % chez les 15-24 ans), une économie informelle qui échappe aux règles (40 % de l’emploi total), et des inégalités territoriales criantes entre les régions du littoral et celles de l’intérieur. Dans ce paysage, de nouveaux modèles d’organisation du travail émergent et suscitent l’intérêt : les coopératives territoriales multi-activités, ou CAE.

Nées d’un besoin de sécuriser les parcours professionnels sans sacrifier l’autonomie, ces structures hybrides mêlent entrepreneuriat collectif, protection sociale et solidarité territoriale. Le principe : permettre à des travailleurs ; souvent isolés, précaires ou non déclarés ; de rejoindre un cadre commun, où ils peuvent entreprendre ensemble, partager des services, mutualiser des ressources… tout en bénéficiant d’un filet de sécurité.

Pourquoi ce modèle tombe à pic

Le modèle des CAE s’adresse directement à celles et ceux qui peinent à entrer dans le monde du travail “classique”. Cela concerne les jeunes diplômés en quête de débouchés, les femmes exerçant des activités à domicile, ou encore les petits entrepreneurs du secteur informel.

Plutôt que de rester seuls face aux difficultés (paperasse, fiscalité, absence de protection), les membres d’une coopérative bénéficient :

  • De services partagés (comptabilité, gestion, appui juridique)
  • D’un accompagnement collectif
  • Et parfois d’un statut d’entrepreneur-salarié, qui leur donne accès à la sécurité sociale tout en conservant leur indépendance.

Ce modèle réduit les risques liés à l’entrepreneuriat individuel et favorise un esprit de coopération plutôt que de compétition. C’est une réponse concrète aux défis de l’inclusion économique, notamment pour les publics marginalisés.

En Tunisie, des initiatives pionnières voient déjà le jour

La première expérience en la matière est celle de la SCES de Ras Jebel, (Société Coopérative des Entrepreneurs Solidaires), fondée en 2018 à Bizerte. Cette société coopérative, pensée comme une “entreprise partagée”, permet à des entrepreneurs locaux de développer leur activité dans un cadre mutualisé. Chacun reste indépendant, mais bénéficie d’un socle commun : gestion simplifiée, accompagnement administratif, et entraide entre pairs.

L’analyse de cette initiative montre une convergence claire entre les attentes des porteurs de projets tunisiens et le fonctionnement des Coopératives d’Activités et d’Emploi telles qu’on les connaît en France ou au Maroc.

Ce modèle hybride semble particulièrement adapté aux spécificités tunisiennes, à condition d’en adapter certains paramètres, comme le cadre juridique, les outils de gouvernance ou les mécanismes d’accompagnement.

Ce qu’il faut pour que ça marche

Les CAE sont prometteuses, mais pour qu’elles se généralisent, plusieurs conditions doivent être réunies :

  1. Autoriser l’expérimentation : il faut permettre à des projets pilotes de voir le jour dans quelques régions stratégiques (par exemple : Gafsa, Kasserine, Sidi Bouzid), pour tester le modèle à petite échelle.
  2. Créer un cadre juridique adapté : aujourd’hui, aucune loi tunisienne ne reconnaît spécifiquement ce type de structure. Il est urgent d’établir un statut d’entrepreneur-salarié, et d’autoriser la multi-activité dans un même cadre légal.
  3. Offrir des incitations concrètes : accompagnement technique, accès facilité au financement, allègements fiscaux… Ce sont des leviers essentiels pour aider les coopératives à démarrer.
  4. Sensibiliser les acteurs publics et privés : collectivités locales, associations, institutions financières, jeunes entrepreneurs… tous doivent être informés du potentiel du modèle.

Enfin, la mise en place d’un suivi rigoureux et évalué permettrait d’ajuster le dispositif en fonction des résultats obtenus, avec des bilans réguliers et des retours terrain.

Une solution réaliste, inclusive et 100 % tunisienne

Les CAE ne sont pas un mirage : elles existent, elles fonctionnent ailleurs, et leurs premiers pas en Tunisie sont déjà porteurs d’espoir. Ce modèle, à la fois souple, collectif et structurant, peut devenir un levier puissant contre le chômage, la précarité et les inégalités régionales. Encore faut-il que la Tunisie ose l’expérimenter à plus grande échelle.

Il ne s’agit pas de copier-coller un modèle étranger, mais d’en construire une version tunisienne, fondée sur les réalités du terrain, les besoins exprimés et une gouvernance démocratique.

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* Le THINK TANK ESS Tunisie est un centre de réflexion qui œuvre, à travers une approche collaborative et ascendante, au développement d’axes structurants pour l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) en Tunisie. Il s’appuie sur l’intelligence collective des acteurs de l’ESS pour proposer des analyses, des recommandations et des dynamiques d’innovation adaptées aux réalités du terrain.

* Solidarité Laïque Tunisie est une association tunisienne fondée en 2013, coordonnant un collectif pluriacteurs de 85 entités, incluant des associations, syndicats, coopératives, collectivités territoriales et pouvoirs publics.

Think Tank- ESS Tunisie

Lire le policy brief

"Autoriser le développement des Coopératives territoriales Multi-Activités en Tunisie, les Coopératives d’Activités et d’Emploi"

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