Depuis la révolution de 2011, la Tunisie a vu naître un foisonnement d’initiatives autour de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Mais derrière les discours, comment les entreprises et les acteurs institutionnels traduisent- ils réellement cet engagement ? Et surtout, qu’est-ce qui motive ces démarches : conviction profonde ou stratégie d’image ? Une immersion dans le réseau local du Pacte Mondial -Tunisie révèle trois visages bien différents de la RSE en Tunisie.
En Tunisie, la RSE a longtemps été portée par l’État, qui s’inspirait des lois et pratiques européennes. Mais après la révolution, les cartes ont été rebattues : nouveaux acteurs, montée en puissance de la société civile, environnement politique instable… Un terrain propice à la réinvention des règles du jeu.
Au centre de ce paysage, l’IRSET (Institut de la Responsabilité Sociétale des Entreprises en Tunisie) devient, en 2015, le représentant officiel du réseau local du Pacte Mondial des Nations Unies. Sa mission : fédérer les entreprises autour des dix principes du Pacte (droits humains, normes de travail, environnement, lutte contre la corruption) et des Objectifs de Développement Durable.
Pendant 18 mois, Mme Bouderbala Amel premier auteur de cette étude et en tant que coordinatrice du réseau Pacte Mondial de 2015 à 2016, a suivi de l’intérieur ce réseau, observant réunions, formations et négociations. Les auteurs de cette recherche ont analysé comment se construisent les relations entre acteurs, comment se prennent les décisions, et surtout pourquoi les entreprises s’engagent dans la RSE. Trois grandes configurations émergent : la RSE « greenwashing », la RSE « win/win » et la RSE pragmatique.
Quand la RSE devient un outil de communication
Certaines entreprises voient dans la RSE un excellent moyen de soigner leur image. Une entreprise finance la rénovation d’écoles ou la construction de puits. Ces actions sont largement médiatisées et associées aux Objectifs de Développement Durable du Pacte Mondial.
Problème : l’impact réel sur le long terme reste limité. Ici, la RSE fonctionne surtout comme un levier marketing, une manière de « verdir » son image sans transformer en profondeur ses pratiques. C’est ce que les chercheurs appellent le greenwashing : un discours responsable qui masque une réalité plus orientée vers la communication que vers le changement durable.

Quand la RSE crée des gagnants de tous côtés
D’autres entreprises adoptent une approche plus équilibrée, où communauté locale, salariés et entreprise sortent tous gagnants. C’est le cas d’une autre entreprise. Consciente de son impact environnemental, elle agit pour améliorer la vie du voisinage : réaménagement de routes, aide matérielle aux habitants, recrutement prioritaire de personnes des quartiers proches, dialogue constant avec les syndicats.
Cette stratégie, dite win/win, cherche à répondre aux attentes sociales tout en consolidant la performance de l’entreprise. Elle repose sur un dialogue social fort et une implication directe des parties prenantes locales.

Quand la RSE s’ancre dans le quotidien de l’entreprise
Enfin, certaines entreprises choisissent de construire la RSE pas à pas, comme ce grand groupe diversifié. Pas de service RSE dédié au départ : chaque département intègre progressivement les bonnes pratiques dans son fonctionnement.
Ici, pas de campagnes de communication tapageuses. La priorité est donnée au changement interne : gestion des ressources humaines, production, qualité… La RSE devient une culture d’entreprise partagée par tous. Ce modèle pragmatique vise à réduire les coûts et les risques tout en assurant la pérennité de l’activité.
Conclusion : un chantier encore ouvert

Cette enquête montre que la RSE en Tunisie prend des visages très différents : parfois vitrine marketing, parfois outil de coopération locale, parfois moteur de changement interne. Mais dans tous les cas, elle reste au cœur des rapports de force entre acteurs économiques, institutions et société civile.
Dans un contexte post – révolution où le pays cherche un nouveau contrat social, la RSE peut devenir un véritable levier de développement inclusif… à condition d’être portée par des actions sincères et durables.
ECOTOUS
Consultez la recherche
Bouderbala, A. et Ben Aissa, H (2022) : "Mise en œuvre de la RSE en Tunisie : Analyse des logiques d’actions dans un contexte post révolution", Revue Finance Contrôle et Stratégie, 25 (1), pp.1-26.